Actualité proposée par le cabinet De Gaulle Fleurance & Associés
Le régime de l’invention de salarié (article L.611-7 du code de la propriété intellectuelle) ne s’applique que dans la relation salarié-employeur et non dans celle du salarié et du cessionnaire des actifs incorporels de son employeur.
Un arrêt du 31 janvier 2018 de la Chambre Commerciale de la Cour de cassation, publié au Bulletin, aborde le sort de la propriété des brevets d’inventions de mission dans l’hypothèse où l’employeur n’est pas le déposant initial ou a disparu et qu’un tiers s’est porté acquéreur de ces éléments d’actifs incorporels.
Cette décision est particulièrement riche car la Cour de cassation tranche plusieurs sujets inédits quoique régulièrement abordés dans le cadre de l’acquisition, la transmission ou valorisation de portefeuille de brevets et d’inventions.
Les faits essentiels et leur séquence peuvent être résumés comme suit :
Le Tribunal de Grande Instance de Paris, saisi par M. M. avait fait droit à la demande de revendication de ce dernier. pour des motifs étrangers à ceux examinés par la Cour de cassation. En appel, la revendication de propriété est rejetée, mais la société I. est condamnée à payer une rémunération supplémentaire à M. M.
En effet, la Cour juge que le mécanisme de l’article L.611-7 du code de la propriété intellectuelle (CPI) permettant à un employeur de déposer un brevet au nom de l’entreprise et dérogeant au principe suivant lequel une invention appartient à son inventeur (article L. 611-6 du CPI), ne bénéficie qu’à l’employeur et non au cessionnaire des droits, qui n’a pas la qualité d’ayant droit de l’employeur.
La Cour de cassation en déduit de façon logique que le droit au titre stipulé à l’article 611-7 n’étant pas transférable, à tout le moins, pas implicitement, la dette de l’employeur vis-à-vis d’un salarié inventeur ne l’est pas davantage au cessionnaire du titre.
La Cour de cassation casse l’arrêt sur ces deux volets et renvoie les parties devant la Cour d’Appel autrement composée. Parmi les attendus essentiels, il faut retenir les points de droit suivants :
- « Acquérir les éléments incorporels de l’actif d’une société comprenant un brevet et le résultat de travaux effectués dans la continuité de ce brevet par un salarié investi d’une mission inventive qu’elle avait employé, ne confère pas au cessionnaire la qualité d’ayant droit de l’employeur, en sorte que ce cessionnaire, qui a déposé un brevet à partir de ces éléments, n‘est pas fondé à opposer au salarié que l’invention dont celui-ci est l’auteur et revendique la propriété est une invention de mission appartenant [au cessionnaire]. »
- « Le droit à rémunération supplémentaire du salarié ne peut être invoqué qu’à l’encontre de l’employeur et prend naissance à la date de réalisation de l’invention brevetable. »
Les enseignements à tirer de cet arrêt sont nombreux. Tout d’abord, il convient d’être très vigilant dans l’analyse de la chaîne des droits et à ce titre de veiller à la nécessaire cohérence des qualités d’employeur et déposant du brevet d’invention d’une part et de salarié inventeur d’autre part, rappelée par cet arrêt.
Les points à retenir de cette décision sont :
- Une clarification utile qui sécurise grandement les opérations d’acquisition de portefeuilles de titres, puisque l’acquéreur de brevets déposés ou enregistrés ne saurait être condamné à payer une dette impayée, contractée par le déposant initial auprès d’un ou plusieurs salarié(s) inventeur(s).
- Cependant, si le déposant mentionné au registre n’était pas l’employeur du salarié inventeur à l’époque de l’invention, le salarié inventeur devrait pouvoir revendiquer avec succès la propriété du brevet protégeant son invention face à un employeur défaillant ou « récalcitrant »…
- La nécessité de réétudier la politique de dépôt des brevets pour respecter la cohérence entre le nom du déposant du brevet et l’employeur. Ainsi, pour les sociétés, faisant partie d’un groupe, il semblerait prudent d’opérer le dépôt au nom de la société employeur et non d’une autre entité, par exemple, une société en charge de l’exploitation du portefeuille PI des sociétés du groupe et ensuite, seulement, de procéder au transfert des droits au profit de la société qui centralise la détention et la gestion des droit de PI au sein du groupe.
Une autre piste de réflexion serait de relever que la chambre sociale de la Cour de cassation n’a pas une vision aussi stricte de la notion d’employeur car, pour cette dernière, les rapports économiques entre des sociétés d’un même groupe ne sont pas indifférents à la qualification d’employeur. L’identification de l’employeur peut donc parfois se révéler complexe dans certaines situations particulières telles que la mise à disposition ou l’existence d’un groupe de sociétés.
En l’état, cet arrêt remet aussi en cause l’efficacité des stipulations figurant dans des contrats de prestations de R&D, laissant au client le soin de protéger à son seul nom des inventions réalisées dans le cadre de ce contrat par des inventeurs-salariés de son co-contractant. Il est nécessaire de prévoir un dépôt par l’employeur de l’inventeur puis une cession du brevet déposé. - Pour les acquéreurs, de mesurer les risques et l’opportunité d’acquérir des « actifs » sur lesquels ils peuvent n’avoir aucun droit, et d’adapter les clauses contractuelles de l’acte de cession en conséquence.
Cet article a été co-rédigé par :
Francine Le Péchon-Joubert, Avocat Associé, Anker Sorensen, Avocat Associé, Claire Tergeman, Avocat Senior Counsel